Moscou

Les articles sur la Conférence de Moscou sont très probablement parus dans l'Aube.

18(?)/3/1947

 

On pourrait dire comme paradoxe que la Conférence de Moscou n'est pas commencée. Personne ne prend exagérément au sérieux les travaux actuels des Quatre. Ses débats sur la démocratisation et la dénazification ce sont comme des joutes d'entraînement. On peut les comparer à ces balles que les joueurs de tennis échangent avant la partie afin de mesurer l'adversaire. Le vrai match n'est pas encore engagé.

De ces coups d'essai, les suppléants viennent de nous en donner un exemple. M. Vychinsky a brusquement proposé aux Anglais et aux Américains le marché suivant : « Vous voulez élargir le comité d'information et de consultation jusqu'à y inclure tous les Alliés. J'y consens, mais à condition que vous l'élargissiez encore plus en y introduisant l'Albanie ».

M. Strang et M. Murphy se sont abrités derrière leurs instructions pour refuser. On voit bien pourtant le jeu de l'adjoint soviétique mettant habilement ses partenaires en contradiction avec eux-mêmes.

Mais encore une fois, il ne s'agit là que de coups d'essai. La vraie conférence, pour le moment, se déroule dans les couloirs.

Contrairement à ce qu'on a écrit parfois chez nous, le discours de M. Truman n'a guère influé sur ce jeu. Il cadre avec la politique très nette que le général Marshall compte poursuivre ici. Pour le délégué des Etats-Unis, la question de l'Allemagne ne paraît pas être l'objet principal de la conférence, mais plutôt l'occasion qu'il y trouve de mettre au point sa politique vis-à-vis des Soviets.

Ceux-ci continuent d'ailleurs de réagir sur le discours du président américain. Ils l'ont fait comme toujours avec un grand retard et on commence seulement à en voir les manifestations.

Au début, ils ont observé un silence d'autant plus prudent que les bruits les plus fantaisistes couraient sur ce discours. Mais au contraire, hier et aujourd'hui, « Pravda » et « Izvestia » reprennent l'affaire sur un ton qui va crescendo.  J'ai l'impression que les Russes sont moins impressionnés par le discours lui-même qui n'a rien pu leur apprendre, que par les interprétations données par la presse américaine.

Nous en sommes à la période où on envoie des éclaireurs de délégation à délégation. Les tables, dans la salle à manger de l'hôtel Moskowa, offrent de curieuses bigarrures. Il est difficile de s'y reconnaître d'ailleurs. Qui est vraiment officieux ? Qui est mandaté ? Et dans ces propos quelle est la part minime et vraie et la part très large des ballons d'essai ?

M. Bidault a vu deux fois le général Marshall. On disserte, beaucoup sur ce qu'ils se sont dit. Selon toute probabilité, le ministre américain a parlé de son projet de pacte de 40 ans, pour la surveillance à quatre de l'Allemagne. Garantie précieuse puisqu'elle obligerait les États-Unis à intervenir dans les affaires allemandes, à condition toutefois qu'elle ne nous prive pas d'autres garanties encore plus tangibles. Il aurait proposé aussi à la France une sorte de troc : « Consentez à la fusion des trois zones occidentales, nous vous approvisionnerons en charbon ». Devant un tel marché, on ne peut être que très réservé.

Ajoutons qu'ici on parle beaucoup de l'incident franco-bulgare. La « Pravda » reproduit in extenso une longue déclaration de M. Dimitrov racontant l'affaire à sa façon. M. Bidault a reçu ce matin le ministre de Bulgarie et lui a tenu un langage fort sévère dont on peut espérer qu'il mettra un terme à cet incident.

Ainsi, par des biais et des faux-fuyants, la Conférence approche non pas de son terme - nous en sommes encore fort loin – mais des réunions où elle prendra sa véritable physionomie. C'est à cette physionomie définitive que s'apparentent déjà les déclarations de M. Bidault sur la démographie de l'Allemagne, car elles revêtent une grande importance. Il est certain que les signataires des accords de Postdam n'ont pas prévu les conséquences de leur politique. En évacuant toute une partie du sol allemand, on a surchargé l'autre de population. Il en résulte un danger pour les pays voisins et une source de déséquilibre pour l'Allemagne elle-même.

M. Bidault s'est abstenu de lier cette question à celle de l'unité économique et à celle du potentiel de guerre, sans doute pour ne pas imiter M. Bevin. Mais une émigration du surplus de populations allemandes ne sera-t-elle pas, comme nous l'avons dit, le moyen de permettre à l'Allemagne d'équilibrer sa balance de comptes d'une façon infiniment moins dangereuse qu'en élevant le niveau de son industrie.

 

Le billet de politique extérieure